Tristan Corbiere

1845-1875 / France

Bambine

Tu dors sous les panais, capitaine Bambine
Du remorqueur havrais l’Aimable Proserpine,
Qui, vingt-huit ans, fis voir au Parisien béant,
Pour vingt sous : L’OCÉAN ! L’OCÉAN !! L’OCÉAN !!!

Train de plaisir au large. – On double la jetée
En rade : y a-z-un peu d’gomme… – Une mer démontée
Et la cargaison râle : – Ah ! commandant ! assez !
Assez, pour notre argent, de tempête ! cessez !

Bambine ne dit mot. Un bon coup de mer passe
Sur les infortunés : – Ah, capitaine ! grâce !…
– C’est bon… si ces messieurs et dam’s ont leur content ?…
C’est pas pour mon plaisir, moi, v’s êtes mon chargement :
Pare à virer…

Malheur ! le coquin de navire
Donne en grand sur un banc… – Stoppe ! – Fini de rire…
Et talonne à tout rompre, et roule bord sur bord
Balayé par la lame : – À la fin, c’est trop fort !…

Et la cargaison rend des cris… rend tout ! rend l’âme
Bambine fait les cent pas.
Un ange, une femme
Le prend : – C’est ennuyeux ça, conducteur ! cessez !
Faites-moi mettre à terre, à la fin ! c’est assez !
Bambine l’élongeant d’un long regard austère :
– À terre ! q’vous avez dit ?… vous avez dit : à terre…
À terre ! pas dégoûtaî !… Moi-z’aussi, foi d’mat’lot,
J’voudrais ben !… attendu q’si t’-ta-l’heure l’prim’ flot
Ne soulag’ pas la coque : vous et moi, mes princesses
J’bêrons ben, sauf respect, la lavure éd’nos fesses !

Il reprit ses cent pas, tout à fait mal bordé :
– À terre !… j’crâis f…tre ben ! Les femm’s !… pas dégoûté !
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